la commissure des sèves
Dieu est un exilé qui a perdu toute la nuit au Poker et qui cherche un ami à taper. Il pleure comme personne, boit comme un professionnel et sait chanter des psaumes dans des langues inconnues. Il a perdu son travail lors d’une colère imprévue et vu sa maîtresse beugler des voracités sexuelles au creux de l’oreille d’un étranger. Merde, se dit-il, j’ignorais qu’elle connaissait ces mots interdits, et que visiblement elle a l’intention de passer à l’acte, enfin, aux actes, tous plus débridés les uns que les autres. Dire qu’elle a passé son temps à poser son doigt de fée sur mes lèvres pour m’empêcher de crier mes lubricités. Tu travaillais trop tu dérivais trop et tu n’avais aucun moment pour me faire un enfant. C’est qu’elle n’était pas pour moi qui aie horreur des balbutiements des trémolos et des maladies infantiles. J’ai gardé le chat elle a pris la voiture et le livret d’épargne.

Alors Dieu a compris qu’il allait devoir vivre seul que le présent n’était pas un cadeau et que le père Noël était un concurrent sérieux. Je ferai le désordre j’inventerai la catastrophe je pourrirai l’existence des hommes. Mais son conseiller psychologique lui a rappelé que le créneau était déjà occupé, et qu’il lui fallait trouver autre chose. J’empoisonnerai les fleuves assassinerai les pèlerins ferai disparaître des milliers d’espèces d’oiseaux et de singes. Trop tard c’est déjà fait. Il te reste à inventer le bruit du doute le feulement de la solitude ou l’explosion de la limaille d’absence. Mais Dieu n’aimait pas la philosophie alors il a empoigné le cou d’une déesse et serré jusqu’à ce râle final concomitant au fléchissement des genoux de la victime. Il s’est avéré qu’elle était mère de deux enfants et que sa famille réclamait sa tête. Dieu ne comprenait pas. Mais il n’avait rien à comprendre. Il était le monde et n’avait pas à réfléchir sur lui. Seul le copeau réfléchit sur le tasseau. Seule la feuille cherche désespérément à reconstituer l’arbre et son histoire. Comme il l’avait entendu dire par un griot, la racine n’est que la trace du vide.

Dans cette voiture blanche pilotée par un homme relativement jeune, surtout pour lui, revêtu d’un tablier blanc et coiffé d’un bonnet blanc ; allongé sur une civière et recouvert d’un drap blanc ; bordé par une infirmière blanche, Dieu pensait aux joies du sexe et à l’odeur du safran sur le plateau anatolien quand le vent soufflait de l’Est et que le soleil avait grillé le sol mordoré. L’ambulance le conduisait dans un lieu secret et retiré. Il savait qu’il était en train d’être kidnappé, mais voyait mal qui de ses proches accepterait de payer une rançon pour le faire libérer. Son fils était parti vivre avec un voyou afghan et l’autre, le simple d’esprit, visitait les océans spatiaux pour se faire construire une maison au bord de l’abîme.

Dieu pourtant était charmé par les cuisses de l’infirmière qui ne portait rien sous sa blouse ; c’était suffisamment connu pour ne jamais être vérifié. Il lui suffirait d’attendre. Son heure éternelle viendrait.

Dieu avait mal aux dents et surtout il sentait les sangles lui brûler la peau. J’ai mal dit-il. Et les autres rirent.